Editorial : Le deal international gambien
Par Sidi Lamine Niasse
Devrions-nous nous interroger sur le dénouement de la crise gambienne qui a focalisé l’attention du monde entier à l’instar de ce qui s’est passé au même moment au Ghana ? C’est-à-dire, un changement de régime favorisé par des élections. Au vu de la tournure que cet évènement gambien a pris, on n’a pas le droit de le qualifier de simple. Et ce, quel que soit l’angle sous lequel on le traite : départ d’un dictateur ou arrivée d’un vainqueur d’un jeu électoral libre et démocratique.
Il faut plutôt inscrire ce qui s’est passé en Gambie dans le registre de ce qu’on peut appeler le «printemps ouest-africain» ou «subsaharien». Qui rappelle le printemps arabe qui avait, dans le sang, secoué l’Afrique du nord. De part et d’autre du Sahara, ces changements ne sont pas du même style, même s’ils sont contemporains et visent le même objectif.
Sur les deux axes, Dakar-Djibouti et Banjul-Khartoum, les colonies anglaises et françaises ont toujours marqué l’actualité par une rivalité exacerbée, par des menaces de guerres et de soulèvements. Un conflit d’intérêt qui se déroule dans les limites de leurs frontières avec des lignes imaginaires dites parallèles qui les délimitent.
C’est ainsi que la lutte de ces pays africains pour accéder à la souveraineté internationale a été de nature différente. Avec une effusion de sang en Afrique du Nord et à l’issue d’un cycle de négociations en Afrique subsaharienne, avec toutefois quelques exceptions de part et d’autre. Ainsi, le printemps arabe est survenu dans une période marquée par la transformation de Républiques en des royaumes où des fils de chefs d’Etat étaient préparés à succéder à leur père de président.
C’est le cas de la Syrie avec Bachar El Assad, du Congo avec Kabila-fils, du Togo avec Faure Eyadema. D’autres tentatives dans d’autres pays ont échoué. C’est le cas de la Lybie avec Saïf Al-Islam, du Sénégal avec Karim Wade, de l’Egypte avec Gamal Moubarak. Ces modèles ayant échoué, il fallait que ces deux mondes usent d’un autre modèle de «printemps».
Celui du Moyen-Orient ayant été sanglant et ayant détruit les fondements des Etats, en Afrique au Sud du Sahara, la situation s’est passée sous diverses formes. Si, en Côte d’Ivoire, le sang a profusément coulé, au Burkina le changement a été moins sanguinolent. Et pour le cas du Sénégal comme de la Gambie, nous avons assisté à ce qu’on peut qualifier de deal consacrant le départ du chef de l’Etat sans aucun risque de poursuites judiciaires ni contre lui ni contre ses principaux collaborateurs.
Au Sénégal, Senghor avait bien choisi son successeur en la personne d’Abdou Diouf qui n’était pas attendu par la classe politique du fait de son manque de charismatique et de son ignorance des arcanes de la politique politicienne. Mais Senghor avait besoin d’un homme docile, pour ne pas être poursuivi lui et ses collaborateurs. Wade a suivi le même exemple en choisissant son ancien Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale qui, à l’instar d’Abdou Diouf, n’était pas non plus attendu pour lui succéder.
D’autant que face à l’ancien président Wade, des politiciens chevronnés étaient à l’affût. Et pour y arriver, il y eut la rupture avec Idrissa Seck, matérialisée par ce que la presse a appelé «le protocole de Rebeuss» et qui a consisté à écarter un potentiel successeur susceptible d’engager des poursuites, en lui accordant un pardon bien consigné. Pour ce qui concerne son successeur à la tête de l’Etat, les péripéties ont débouché sur qui est appelé le «deal international» entre le trio libéral Wade, Macky et Karim.
La Gambie, la «gueule» du Sénégal, n’allait pas chercher loin pour sortir de sa crise. Jammeh qui a fait accoucher à la montagne une souris nommée Adama Barrow, devait à son tour s’entendre avec lui sur une sortie s’apparentant à un deal. Cela ne pouvait être effectif qu’après l’investiture du nouveau président qui pouvait ainsi signer, es qualité, une amnistie pour lui et pour ses collaborateurs, les laissant libre avec tous leurs biens et ses avantages d’ancien président. Après Wade-Idy (protocole de Rebeuss), Macky-Karim (le deal international), voilà le deal international gambien.
Cette sortie de crise gambienne ne s’est pas faite fortuitement sous l’égide du Mauritanien Mouhamed Abdel Aziz et du Guinéen Alpha Condé. Les deux chefs d’Etats riverains de la Sénégambie avaient certainement besoin d’une garantie face au malaise qui les menace dans leur propre pays. A savoir le grand Fouta, ou l’axe Al Pulaar Guinée-Ethiopie, qui vient d’avoir deux présidents issus de cette donne sociologique (Macky Sall et Adama Barrow). Ils se sont certainement souvenus de cette visite du président Senghor à Matam dans les années 70, quand, répondant à ceux qui agitaient l’idée du grand Fouta, il indiquait que c’est un chemin plein d’embûches.
C’est un serpent dont la queue se trouve en Guinée, le ventre au Sénégal et la tête en Mauritanie, observait l’ancien président du Sénégal. Il suffit de piétiner le ventre pour que la tête morde en Mauritanie, précisait-il. Mouhamed Abdel Aziz et Alpha Condé qui font face à la montée en puissance des Al Pulaar devaient être témoins et garants d’une situation pouvant préserver leurs régimes de tout débordement ou exploitation de ce contexte. La Cedeao ne pouvait jouer ce rôle avec Mohamed Buhari du Nigeria qui a aussi, comme Macky et Barrow, des origines Al Pulaar.
Par Sidi Lamine NIASSE