ENQUÊTE/INFOGRAPHIE - Depuis les attentats de janvier 2015, plusieurs maires ont décidé d'armer leur police municipale. D'autres restent fermement opposés à ce genre de mesures. Le Figaro vous propose un état des lieux dans les 50 villes les plus peuplées de France.
François Bayrou (MoDem) à Pau, Gérard Collomb (PS) à Lyon ou Arnaud Robinet (LR) à Reims. Plusieurs maires de France ont décidé ces derniers mois d'équiper leur police municipale d'armes à feu. Depuis les attentats de Charlie Hebdo, leur rôle évolue radicalement. Si ces unités restent dédiées à la proximité et au voisinage, plusieurs drames ont montré que cette force pouvait être exposée à des délinquants ou terroristes: parmi les plus marquants, la mort de la policière Aurélie Fouquet en 2010, ou celle de Clarissa Jean-Philippe, tuée à Montrouge en 2015. «Si j'étais un policier municipal, j'aurais le droit d'être inquiet, d'avoir un peu peur de devenir une cible, de ne pas pouvoir me défendre. Mais il ne faut pas céder à la peur», expose Luc Lemonnier (LR), adjoint au maire du Havre. Malgré une nette montée en puissance, le syndicat des policiers municipaux (SNPM) estime que seulement 40 à 45% des agents sont aujourd'hui dotés d'armes à feu. Dans les 50 villes les plus peuplées de France, ce chiffre s'élève à 54%.
En réaction aux drames de janvier, dès mai 2015, le ministère de l'Intérieur a mis à disposition des communes 4000 revolvers. Ces Manurhin MR73 sont des armes à six coups auparavant utilisées par police nationale. Sans légiférer, l'État a incité les maires à s'équiper. Au premier trimestre 2016, 1700 d'entre eux se sont ainsi inscrits aux formations de maniement. Auparavant, ils étaient entre 800 et 900 par an, indique au Figaro le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). «Ces dernières années, la tendance est croissante: entre 2009 et 2015, le nombre de formations préalables d'armement (FPA), concernant les revolvers ou pistolets a augmenté de 183%». Selon La Gazette des communes, 8282 policiers municipaux étaient équipés d'armes à feu en 2015, une progression de 12,37% par rapport à 2012. En 2016, ce chiffre pourrait encore augmenter.
Pas suffisant
Mais les revolvers ne sont pas suffisants pour certains. Après l'attentat de Nice le 14 juillet, les policiers municipaux de la capitale azuréenne ont réclamé un équipement semblable à leurs homologues nationaux (pistolets semi-automatiques Sig-Sauer SP 2022 de calibre 9 mm). «Nos revolvers n'ont aucune force de pénétration. Nos balles n'ont pas réussi à traverser le pare-brise du camion du terroriste», déplore Yves Bergerat, délégué local du syndicat de police municipale (SNPM). «On est passé dans une autre époque. C'est être un assassin pour un maire de mettre un agent non armé sur le terrain», s'alarme-t-il. À Perpignan (Pyrénées-Orientales), l'armement est présent depuis 1986. Mais ces six coups ne suffisent pas, selon la mairie. «Nous souhaitons que les municipaux disposent d'armes longues, identiques aux nationaux», confie Chantal Bruzi (LR), adjointe au maire à la Sécurité publique.
Les policiers municipaux d'Asnières-sur-Seine eux sont déjà dotés de revolvers, mais le maire Manuel Aeschlimann (LR) veut lui aussi aller plus loin. «Tant qu'à s'armer, autant ne pas le faire dans la demi-mesure et ne pas lésiner sur les moyens. Je crois qu'il ne faut pas susciter de faux espoirs chez les gens.» L'ancien député est ainsi favorable à un renforcement de l'équipement de ses unités. «Dès que peut le faire, on le fait». Il aspire notamment à la création de drones mobiles de vidéoprotection.
Alerte au surarmement
À Saint-Étienne, la municipale est dotée de pistolets depuis septembre 2014. «Il y a eu une évolution dans l'approche des maires qui étaient opposés à l'armement. Mais le maintien de l'ordre public et la sécurité restent des fonctions régaliennes de l'État», défend le maire Gaël Perdriau (LR). Gérard Collomb (PS) a fait également ce choix à Lyon. Longtemps opposé aux armes à feu, il a équipé sa municipale depuis le 1er juin 2016. «La décision a été prise au moment du Bataclan», confie Jean-Yves Sécheresse, adjoint à la Sécurité. «Le maire a toujours été contre mais a réévalué sa position. Nos équipes ont de nouvelles missions», ajoute-t-il.
Malgré cette montée en puissance de l'arme à feu, la majorité des maires de grandes villes ne sont pas favorables à ce qu'ils appellent le «surarmement». L'association France urbaine, dont font partie 96 grandes villes ou métropoles de l'Hexagone, milite plutôt pour un renforcement du pouvoir des policiers municipaux. «On souhaite qu'ils puissent réaliser des contrôles d'identité, ou avoir accès aux fichiers des véhicules volés pour redéfinir la ligne de partage entre police nationale et municipale», explique son président, Jean-Luc Moudenc (LR), également maire de Toulouse.
En armant leur police municipale, certains craignent par ailleurs un désengagement de leurs homologues nationaux. C'est le cas de la mairie de Boulogne-Billancourt, qui va doter ses 42 agents d'armes à feu. «On est passé de 186 à 136 agents de police nationale. Les 50 de moins ne seront pas compensés par nos municipaux, mêmes armés», déplore le maire Pierre-Christophe Baguet (LR). Le maire de Toulouse, est lui plus pragmatique. «À mon avis la police nationale va finir par disparaître sur le territoire des communes. Il est nécessaire qu'elle se concentre sur les grands enjeux comme le terrorisme ou la délinquance dure alors que la municipale doit s'investir sur les tâches de proximité».
Certaines communes opposées
Selon le SNPM, seulement 60% des policiers disposent en outre de pistolets à impulsion électrique Taser ou de lanceurs de balle de défense Flash-Ball. Les villes de Bordeaux ou Roubaix restent par exemple opposées à l'arme à feu mais ont fait ce choix «intermédiaire». Or, certains accidents survenus avec ces appareils, notamment aux États-Unis, témoignent d'un potentiel danger pour certaines personnes. «Nous, on ne veut pas du Taser car il n'est pas individuel, il y en a seulement un par brigade. Et avant de «taser» quelqu'un, il faut s'assurer que la personne n'est pas cardiaque, ou enceinte pour une femme», confie un délégué SNPM à Besançon. Même son de cloche du côté de Nîmes. La police municipale possède des armes à feu, mais pas de Taser ni Flash-Ball. «Ça se sort beaucoup trop facilement», estime Richard Tibérino (LR), adjoint à la Sécurité.
À Nantes et Rennes, 6e et 11e villes de France en terme de population, les policiers n'ont aucun de ces équipements. Ils sont seulement équipés de tonfas et de bombes lacrymogènes. «L'armement est un outil parmi d'autres, ce n'est pas l'élément principal du débat», estime Gilles Nicolas, l'adjoint nantais à la Tranquillité publique. Selon lui, renforcer le réseau radio des policiers, la collaboration entre les unités, le renseignement de proximité doivent être des priorités. «Il ne faut pas être dans l'excès», prévient-il.
Et sans police municipale?
Parmi les 50 villes les plus peuplées de France, quatre n'ont pas de police municipale (Paris, Brest, Nanterre, Créteil). «Un choix politique», revendique Patricia Salaün-Kerhornou (PS), adjointe brestoise à la Tranquillité urbaine. Agents de surveillance de la voie publique (ASVP), gardes, techniciens et forces de sécurité remplacent la police municipale dans une ville à la criminalité faible. Pas d'arme à feu ni Taser donc pour ces agents. Un contrat local de sécurité a malgré tout été créé pour assurer la sécurité publique. «Nos services remplissent bien leur rôle. Et je ne suis pas sûre que les polices municipales soient en mesure d'arrêter un assaillant en cas d'attaque», avance l'adjointe.
Paris est dans le même cas. Le préfet de police exerce les pouvoirs et attributions habituellement confiés aux maires (arrêté des consuls du 12 messidor an VIII). Les agents de surveillance de Paris (ASP) sont ainsi placés sous son autorité. Depuis la mi-septembre et sur trois mois, la ville déploie son nouveau service de sécurité pour lutter contre les incivilités. Cette brigade sera équipée de matraques tonfa. «Concernant les armes létales, le débat sera ouvert avec les organisations syndicales. La porte n'est pas fermée», indique l'adjointe à la Sécurité, Colombe Brossel (PS). Si cette dernière refuse d'entrer dans un «concours de mots», cette nouvelle unité pourrait bien ressembler à une police municipale.
Ce que dit la loi
D'après l'article L412-51 du code des communes, «lorsque la nature de leurs interventions et les circonstances le justifient, les agents de police municipale peuvent être autorisés nominativement par le représentant de l'État dans le département, sur demande motivée du maire, à porter une arme.»
C'est donc au maire de choisir l'armement de sa police. Cette dernière doit cependant être composée de cinq agents minimum. Une convention de coordination avec la police nationale ou gendarmerie doit alors être mise en place. Le maire doit également demander l'autorisation d'acquisition et de détention d'armes, valable cinq ans. Enfin, des suivis et formations doivent être effectués pour que cet équipement puisse être utilisé correctement par des agents aptes. Trois catégories d'armes peuvent être portées par les agents municipaux:
- La catégorie B: revolvers calibre .38 Special, armes de poing calibre 7,65 mm, armes à feu d'épaule et de poing tirant une ou deux balles ou projectiles non métalliques de calibre 44 mm minimum, pistolets à impulsion électrique (Taser) et générateurs d'aérosols incapacitants ou lacrymogènes (Flash-Ball).
- La catégorie C: armes à feu tirant une ou deux balles ou projectiles non métalliques, de calibre 44 mm minimum.
- La catégorie D: matraques de type bâton de défense ou tonfa, télescopiques ou non, générateurs d'aérosols incapacitants ou lacrymogènes (Flash-Ball), projecteurs hypodermiques à fléchettes anesthésiantes. Depuis le 29 avril 2015, en réaction aux attentats, les revolvers chambrés pour calibre .357 Magnum sont également acceptés pendant cinq ans à titre expérimental.