L’interdiction aux ressortissants de sept pays musulmans de fouler le sol américain annonce une longue et difficile bataille juridique Le décret anti-musulmans et anti-réfugiés signé par Donald Trump a provoqué le chaos ce week-end. Les témoignages d’Iraniens, d’Irakiens ou de Syriens arrêtés, empêchés d’entrer sur territoire américain ou refoulés à leur arrivée, malgré des visas valables, se sont multipliés. Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs aéroports américains.
Alors qu’incompréhension, stupeur et colère entourent la promulgation du décret présidentiel, une question demeure: ces mesures, entrées en vigueur à peine édictées, sont-elles légales et constitutionnelles? Des armées de juristes se mobilisent pour répondre à cette question. Et combattre certains points du décret.
Trois nouveaux juges fédéraux opposés au décret
Ce week-end, trois nouveaux juges fédéraux se sont opposés au décret signé vendredi par Donald Trump. Ils suivent ainsi la magistrate new-yorkaise Ann Donnelly. La juge du Tribunal fédéral de Brooklyn avait ordonné aux services de l’immigration de ne pas expulser des réfugiés originaires de ces pays, dont l’entrée sur le sol américain avait été préalablement acceptée.
A Boston la juge Allison Burroughs a délivré dimanche une suspension provisoire à l’expulsion de deux Iraniens enseignant à l’Université du Massachusetts détenus à l’aéroport Logan. Son jugement, valable pour sept jours, semble aller plus loin que celui de la juge Donnelly, car il interdit la détention des deux personnes concernées en plus de suspendre leur expulsion. A Alexandria (Virginie), la juge Leonie Brinkema a interdit au Département de la sécurité intérieure de renvoyer 50 à 60 personnes placées en rétention à l’aéroport international Dulles de Washington. Enfin, un juge de Seattle a interdit samedi l’expulsion de deux individus dont l’identité et la nationalité n’ont pas été précisées. Une nouvelle audience a été fixée au 3 février. Les procureurs généraux de Californie et de l’Etat de New York ont également fait savoir qu’ils examinaient les moyens de contester la légalité du décret.
Confusion suite à plusieurs mesures
La complexité de la situation vient du fait que le décret contient plusieurs mesures, qui sèment une certaine confusion. Il interdit pendant 90 jours aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane (Syrie, Iran, Irak, Libye, Somalie, Soudan et Yémen) d’entrer aux Etats-Unis, en attendant de nouvelles réglementations. Il gèle également, pendant 120 jours, l’accueil des réfugiés, cette fois toutes nationalités confondues, une mesure condamnée par le HCR. Les Syriens sont particulièrement concernés puisqu’ils sont bannis des Etats-Unis sans limite temporelle.
Les compagnies aériennes appliquent le décret
C’est le premier point, pour l’instant, qui fait le plus parler de lui. Si les ressortissants des sept pays visés ne peuvent plus obtenir de visa depuis vendredi, ceux qui ont déjà un visa valable sont également touchés. Ainsi que, dans une certaine mesure, les titulaires de permis de résidence permanent («green card») et les doubles nationaux. La décision, arbitraire et discriminatoire, irrite car le choix des pays ne semble reposer sur rien de rationnel. Donald Trump justifie sa liste noire en décrétant vouloir «lutter contre le terrorisme», or ni le Pakistan, ni l’Arabie saoudite – d’où viennent pourtant 15 des 19 responsables des attentats du 11 septembre 2001 – ne figurent sur la liste. Par ailleurs, sur le site de la Maison-Blanche, le texte du décret ne précise pas quels sont les pays concernés. Ils n’ont été transmis que plus tard par l’équipe de Donald Trump.
Samedi soir, une première victoire avait été remportée devant une cour fédérale de Brooklyn. Deux Irakiens arrêtés à l’aéroport new-yorkais de JFK malgré des visas valables ont finalement pu entrer sur sol américain. La juge a surtout ordonné aux autorités de ne pas procéder à l’expulsion des personnes interpellées depuis vendredi si elles sont en possession de papiers valables.
Premier frein au décret anti-musulmans de Donald Trump
Une petite victoire, donc, pour l’American Civil Liberties Union (ACLU), à l’origine de la plainte, suivie par d’autres. «Mais très honnêtement, nous ne savons pas si les individus concernés par le décret vont désormais être autorisés à pénétrer à bord des avions», a précisé un avocat de l’ACLU à plusieurs médias. Les compagnies aériennes, y compris Swiss, affirment être dans l’obligation légale d’appliquer les interdictions. Des centaines de passagers ont été empêchés de prendre l’avion.
«Le prix à payer»
Une nouvelle audition aura lieu en février. Selon des témoignages de juristes présents dans les aéroports, des refoulements auraient eu lieu malgré la décision de justice. L’équipe de Donald Trump a aussi réagi. Sur «Fox News Sunday», Kellyanne Conway, conseillère du président américain, a déclaré que l’ordre de la juge «n’affectait vraiment pas» les projets de Donald Trump. Son argument: le décret peut paraître injuste, mais «c’est le prix à payer pour garantir la sécurité des Etats-Unis».
L’opposition démocrate demande le retrait du décret controversé. Pour Chuck Schumer, chef des démocrates au Sénat, ces interdictions «ne feront que galvaniser ceux qui cherchent à nous faire du mal». Les républicains sont pour l’instant peu nombreux à oser contester publiquement ces interdictions. Le vice-président, Mike Pence, fait face à de vives critiques. En décembre 2015, comme l’atteste un tweet effacé depuis, il déclarait clairement qu’une interdiction d’entrée sur sol américain visant les musulmans serait «offensante et anticonstitutionnelle». Aujourd’hui, il affirme que l’interdiction ne vise pas une religion mais certaines nationalités.
Remonter jusqu’à la Cour suprême
Pour les associations de défense des migrants qui saisissent la justice, en plus d’être discriminatoires, ces mesures sont clairement anticonstitutionnelles si elles s’appliquent à des ressortissants qui ont des papiers en règle. Elles invoquent le 5e amendement de la Constitution américaine, qui protège contre les abus de l’autorité du gouvernement dans une procédure juridique. La loi de 1965 sur l’immigration et la nationalité est également citée: le texte condamne toute discrimination contre les migrants sur la base de leur origine.
La bataille juridique entre l’administration Trump et les défenseurs des migrants ne fait que commencer. L’affaire pourrait même remonter jusqu’à la Cour suprême qui, rappelle l’AFP, n’a pas eu à trancher sur des affaires d’immigration de ce type depuis la loi sur l’exclusion des Chinois adoptée en 1882.