Dans son rapport annuel, l'ONG dénonce des "discours déshumanisants" et "l'adoption de mesures et de lois qui bafouent de manière systématique et inquiétante les droits de l'Homme" dans le monde.
( Les Echos.fr)- Un symbole lourd. C'est en France, et non au Royaume-Uni comme c'était le cas depuis sa création en 1961, qu'Amnesty International a choisi de dévoiler son rapport annuel. En France, "la patrie des droits de l'Homme" que "le monde regarde", selon les mots de Salil Shetty, secrétaire général de l'ONG de défense des droits humains. En France, où la situation des droits humains est "extrêmement préoccupante", où "les choses risquent de basculer", souligne-t-il. L'ONG n'a pas de mots assez durs pour qualifier cette année 2016 durant laquelle, en France, "au nom de la sécurité, le respect des droits fondamentaux de pans entiers de la population a été relativisé, dans les discours comme dans les actes".
Penser autrement la crise des migrants
L'instauration et les prolongations de l'état d’urgence, appuyées par tous les partis ? Une politique "disproportionnée et discriminatoire", pour Salil Shetty. "Censé n'est qu'un état temporaire et exceptionnel, [il] est devenu la norme, entraînant une dangereuse remise en cause des libertés pourtant essentielles dans un Etat de droit", résume un communiqué de l'ONG.
L'accueil des réfugiés ? Malgré sa volonté affichée de protéger les réfugiés, "la France n'a pas pris ses responsabilités" dans le cadre de la politique européenne, pointe Camille Blanc, la présidente de la section française d'Amnesty. À Calais et à la frontière avec l'Italie, "la France n'a pas pris les mesures pour protéger les réfugiés sur son territoire".
"Discours toxiques"
Et aujourd'hui, avec l'élection présidentielle et les législatives qui se profilent à l'horizon, "la France est à la croisée des chemins". Comme dans de (trop) nombreux autres pays européens, l'Hexagone bruisse de "discours qui entraînent la haine, la peur". Des "discours toxiques" qui stigmatisent les réfugiés comme les migrants, "présentés comme indésirables ou comme une menace dans le discours de certains responsables politiques".
En matière de discours comme d'actes, la France ne constitue toutefois pas une exception sur le Vieux continent. "Il n'y a rien de nouveau dans cette dérive en Europe", déplore John Dalhuisen, le directeur du bureau régional Europe et Asie centrale d'Amnesty.
Pointant des "discours déshumanisants". Dénonçant "l'adoption de mesures et de lois qui bafouent de manière systématique et inquiétante les droits de l'Homme". "Les cibles principales de la démagogie européenne sont évidentes : les étrangers et les migrants", présentés dans de nombreux pays comme une menace pour la sécurité.
Perspectives 2017 "alarmantes"
En Europe et dans d'autres pays dans le monde - et pas seulement dans les Etats-Unis de Donald Trump -, au-delà des discours délétères, des engagements ont été reniés. Ainsi des renvois répétés de réfugiés dans leur pays où leurs droits étaient en danger. Ainsi du retrait de nombreux pays de la Cour pénale internationale, mettant à mal la lutte contre l'impunité. Ainsi du repli sur les intérêts nationaux au détriment de la coopération et de la solidarité internationale... "Progressivement, le monde s'habitue à ce que la communauté internationale soit incapable de mettre un terme aux massacres en Syrie [qui subit sa sixième année de conflit, NDLR], au Yémen ou encore au Soudan du Sud", dénonce Amnesty.
"Nous sommes arrivés au stade où il n'y a plus de ligne rouge", déplore encore Salil Shetty. Qui, malgré les perspectives "alarmantes" dans un contexte mondial particulièrement instable, garde espoir. "Nous ne devons pas être fatalistes", exhorte-t-il. Concluant : "Là où les dirigeants échouent, il faut que les peuples se lèvent."