Peut-on comprendre les échecs successifs de la communauté internationale dans le dossier du Sahara occidental ? Après une trêve de 30 années les indépendantistes sahraouis ont repris les armes contre l’armée du royaume marocain qui occupe 80% de leur territoire. Les raisons de ce choix seraient justifiées à plus d’un titre. 1- L’intervention militaire marocaine, suite aux événements survenus dans la zone tampon démilitarisée de Guerguerat le 13 novembre dernier, a été perçue par le POLISARIO (et par bon nombre d’observateurs ; à juste titre) une violation indiscutable de l’accord de « cessez-le-feu » signé entre les deux parties en 1991 sous l’égide de l’ONU et des accords militaires(1997,1998) entre la MINURSO et le Front Polisario d’une part , la MINURSO et les FAR d’autre part. Dans ces derniers accords il est bien stipulé ʺqu’aucune force armée ne doit être déployée au sud de la localité de Guerguerat entre la frontière Mauritanienne et le mur de défense marocainʺ. Le mur qui isole la partie occupée par le Maroc du reste du territoire sahraoui resté enclavé, se situe aux confins de la bande de sécurité appelée par l’ONU Berm qui s’étend le long de la totalité du territoire litigieux. La Berm étant mise sous administration onusienne est en principe interdite d’accès aux forces armées des deux belligérants. Selon les termes et l’esprit de ces accords seule la MINURSO est habilitée à y intervenir par les moyens mis à sa disposition pour éviter d’éventuelles frictions entre les armées des deux belligérants. A l’origine l’ouverture de la brèche de Guerguerat devrait servir temporairement de passage aux civils qui transitent entre la Mauritanie, le Maroc et ceux provenant des territoires libérés. On peut donc comprendre qu’en acceptant tacitement cette brèche, relevant de ses territoires libérés, le POLISARIO avait fait une concession en faveur des efforts de paix entrepris par la communauté internationale et adressé en même temps sa confession de bonne foi quand aux engagements internationaux dans la recherche d’une paix durable. Compte tenu que cette brèche est le seul point de passage terrestre entre le Maroc et la Mauritanie son ouverture profiterait évidement aux marocains plus qu’aux sahraouis. Mais l’espoir et l’attente d’une perspective de solution globale à l’horizon proche auraient suffit aux dirigeants sahraouis contrariés de tolérer les multiples manœuvres et incursions marocaines dans la zone tampon sous couvert, à chaque fois, de faux alibis faisant de Guerguerat un nœud de tension permanente ; le point de crispation qui dévoile au grand jour la stratégie marocaine qui finalement mise sur le pourrissement du conflit. Le Maroc, par ses provocations répétitives depuis 2001 et par l’assaut musclé du 13 novembre mené par des unités spécialisées des FAR pour disperser des manifestants civils à Guerguerat a en effet délibérément remis à quand les poules auront des dents l’accord de cessez-le-feu et les accords connexes. 2- La redynamisation de la diplomatie marocaine en Afrique sur fond d’intérêts économiques communs (à l’aune du dossier sahraoui) s’est fortement consolidée par l’ouverture de cette frontière terrestre directe vers le continent noir facilitant les échanges commerciaux et la libre circulation des personnes. L’existence du point de passage de Guerguerat devenu très prisé (et son appropriation) a été l’amorce effective de la mise en œuvre de l’ambitieux « programme de développement du grand sud marocain » orienté vers la surexploitation des richesses des provinces colonisées du Sud avec comme objectif à terme d’en faire « le maillon stratégique vers l’Afrique subsaharienne ». A cela est venu s’ajouter le nouveau port Dakhla Atlantique financé à plus de 10 milliards DH et d’importants autres chantiers d’envergures programmés dans la région au dépend du nord (qui dénonce et se soulève ; ex. : Le Rif) juste pour faire passer le message, le roi lui-même : ““ C’est une reconnaissance claire du caractère marocain du Sahara et une expression de ma confiance dans la sécurité, la stabilité et la prospérité dont jouissent nos provinces du Sud ””. Dans cette lancée le Maroc a convaincu plus d’une dizaine de pays amis d’ouvrir des consulats généraux dans les grandes villes de Dakhla et Laayoun pour davantage pousser la communauté internationale d’accepter le fait accompli de la marocanité du Sahara. Une intense démarche diplomatique marocaine si évocatrice de son combat, mené bec et ongles, afin de renverser la position forte de l’UA qui en 2016 avait qualifié « le Sahara de territoire occupé insistant auprès de l’ONU de fixer rapidement une date pour la tenue d’un référendum d’autodétermination ». Une nouvelle stratégie du roi qui, clairement, vise a “abâtardir” les efforts de médiation de la communauté internationale sur le statut du Sahara en transformant ces régions en un important pôle économique où se croiseraient les intérêts économiques de plusieurs autres nations. Une telle entreprise de l’occupant marocain fut dénoncée à maintes reprises par les autorités sahraouies attirant l’attention sur le risque de déraillement du « ….processus de décolonisation du Sahara occidental, dénonçant les tentatives de la puissance occupante pour consolider le statut quo .. » dixit Brahim Ghaly 2019 et que « l’ONU ne devait pas permettre au processus politique d’être l’otage des conditions préalables du Maroc.. ». 3- La population sahraouie sous occupation marocaine est, elle aussi, excédée par les mauvaises conditions de vie et les traitements déshonorants infligés par le maghzen. Depuis les sanglants événements en 2010 de Gdeim Izik le sentiment de frustration et de désespoir grandit jour après jour chez ces “citoyens ʺqui du coup ont compris qu’ils ne seraient jamais considérés marocains à part entière mais plutôt de simples assimilés aux droits limités sans véritables accès à des voies de recours. Plusieurs associations de la société civile (marocaines et étrangères) et des organisations internationales de défense des droits de l’homme dénoncent haut-et-fort les violations commises, au quotidien, par le régime marocain à l’encontre des populations sahraouies qui se sont retrouvées dans une situation humainement intenable, privées : de leur droit à l’autodétermination et à disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles ; de leur droit à la vie décente ; du droit de l’interdiction contre la détention arbitraire et de l’interdiction de la torture ; du droit au respect de la vie privée ; du droit à la dignité humaine …etc. . Ce peuple martyrisé trouve désormais son seul salut dans les idéaux défendues par le POLISARIO et fonde son ultime espoir dans sa lutte armée. Après le 13 novembre les sahraouis des territoires occupés ont massivement manifesté leur soutien à l’APLS (armée populaire de libération sahraouie) malgré la forte répression de la police marocaine. Un message clair et suffisant pour exprimer leur exaspération de l’impasse dans laquelle ils se trouvent depuis des décennies. La RASD l’a aussi bien compris d’autant plus que «...le processus de décolonisation n’a connu aucun développement depuis la démission de l’envoyé personnel du secrétaire général pour le Sahara occidental en mai 2019.. » ; une démission de l’ONU incomprise. La reprise de la guerre paraitrait ainsi l’unique option en perspective avec risque de dégénérer en un conflit régional plus large. La communauté internationale s’abstient de condamner le Maroc resté sourd aux injonctions de la communauté internationale (ONU, UA), aux menaces du POLISARIO et aux nombreux messages de ras-le-bol exprimés par la jeunesse des territoires occupés qui ne supportent plus l’asphyxie imposée par les autorités occupantes. A son corps défendant face à cette situation explosive le Maroc s’évertue continuellement à mettre en œuvre sa stratégie étape par étape : Gagner plus de terrain jour après jour, mater toujours avec plus de brutalité les populations sahraouies colonisées et tente même d’internationaliser le conflit en piégeant certains de ses alliés à prendre part dans ce différend dont le dénouement n’aura pourtant d’incidence que sur la prospérité et la stabilité de la sous-région. Quelle nouvelle réponse de la communauté internationale pourrait encore faire taire les armes au Sahara ? HAROUN OULD RABANY Analyste politique, ancien officier newwassit@gmail.com