Le Global Terrorism Index (GTI), indice global de terrorisme, est un outil qui évalue la menace terroriste dans le monde, en établissant un classement annuel des pays en fonction de l’activité terroriste qui se déroule sur leur territoire national. De fiabilité mondialement reconnue, c’est un produit de l’ Institute for Economics and Peace (IEP) qui est un think tank indépendant basé à Sydney, en Australie
Dans son dernier rapport, portant sur l’année écoulée, la Mauritanie se trouve au 125ème rang, dans la zone "bleu clair" ou "gris de lin". Comme indiqué sur l'échelle graphique de la carte (figure ci-dessus), sa place correspond à « non impact » (sans impact). Sa position s’est améliorée de 18 points comparativement au GTI 2015, où elle occupait la 107ème place qui la situait dans la zone « orange clair » qui équivaut à « lowest impact » (faible impact).
Elle est la mieux classée en termes de sécurité face au terrorisme parmi les pays du Maghreb et dans la zone Sahélo saharienne de façon générale, y compris par rapport à des pays considérés relativement sûrs comme destinations touristiques, dont le Sénégal et le Maroc qui sont respectivement 64ème et 95ème. Elle surclasse également les Etats-Unis (36ème) de 89 points, et la France (29ème) de 96 points.
Curieusement, cette très bonne position de la Mauritanie n’empêche pas le quai d’Orsay de la maintenir dans la « zone rouge » sur la carte des risques établie par le Ministère des affaires étrangères français, alors que les Etats-Unis, le Maroc et le Sénégal, eux, sont dans la "zone jaune" sur la même carte . .
C’est vrai que, contrairement aux anciennes puissances coloniales, les critères de l’IEP ne sont pas influencés par des considérations d'ordre « idéologique » ou inavoués. Ils ne sont pas non plus motivés par des mobiles de "politique politicienne" qui reposent sur des calculs électoralistes. Son produit GTI s’appuie plutôt sur quatre types de données objectives.
Chiffrables, les paramètres de cet institut sont directement déduits de l’activité terroriste dans le pays considéré. Une activité dont ils expriment l’intensité et l’impact potentiel sur le pays. Il s’agit des paramètres quantifiables suivants:
* nombre total d'incidents terroristes
* nombre de décès causés par le terrorisme
* nombre de blessés causés par le terrorisme
* la somme des dommages matériels chiffrés causés par le terrorisme.
Appliqués à la Mauritanie, ces critères donnent un résultat rassurant pour le pays ; car, associés ou pris séparément, leur portée négative est quasiment nulle. .
Cette situation n’est nullement surprenante, et pas vraiment nouvelle. Depuis 2012, le pays n’a pas connu d’attaque ou d’agression terroriste. C’est le résultat d’une vision stratégique assez perspicace et d’un engagement fort et courageux pris par ses dirigeants en matière de politique sécuritaire. Ils en récoltent aujourd’hui les fruits en termes d’image auprès de ceux qui manipulent et produisent les outils ou matériaux conceptuels dont se nourrit la pensée stratégique.
Il faut cependant persévérer en redoublant sans cesse de vigilance. Par nature imprévisible et amorphe, la menace terroriste, peut se déclencher à tout moment, et souvent là où on l’attend le moins.
Quelques indices nous incitent en effet à la prudence :
1. Aujourd’hui, après les revers et coups sévères qu’ils ont subis suite notamment à l’opération française Serval, les GAT (groupes armés terroristes) reprennent manifestement des forces au Sahel, particulièrement au Mali. Leur zone de déploiement ou champ d'action géographique ne se limitent plus au nord de ce pays, comme c’était le cas avant 2013. Ils s’étendent désormais au centre et au sud et touchent des Etats voisins, (figure 1).
2. Il est à craindre en outre que les grandes pertes et fortes pressions militaires que ces groupes subissent en Iraq, en Syrie, au Nigéria et en Libye, les fassent éclater et les poussent à chercher d’autres refuges dont le Sahel. Ils pourraient essayer de s’y retirer suivant des plans, par petits groupes de quelques personnes ou individuellement. Il est probable également que parmi les « Djihadistes » sahéliens qui avaient rejoint les fronts extérieurs, en Libye ou au Moyen-Orient, certains chercheraient à regagner leurs pays d’origine ou des Etats frontaliers à leurs pays, avec tout ce que cela comporte de danger pour ces pays, (Figure 2). Le notre n’est pas à l’abri de tels risques. Même si les ressortissants mauritaniens comptent parmi les moins nombreux dans DAECH, et encore moins dans Bokou Haram, l'éventualité ne doit pas être négligée.
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3. Outre la capacité de résilience dont font peuve les groupes traditionnels, (AQMI, Ançar Dine…), et que l’on observe ces derniers temps au travers de l’intensification de leurs opérations au Mali et dans certains payas voisins ( Burkina faso, Côte d’Ivoire…), de nouveaux GAT ont vu le jour. Ils émanent d’autochtones. Le FLM (Front de libération du Macina), composé majoritairement de peuls, fournit une illustration de cette « indigénisation » du terrorisme sahélien qui prend un cachet ethnique. Rappelons que cet enracinement local avait commencé au début de la décennie avec la création du MUJAO et d’Ançar Dine. Il y a lieu d’éviter que cette ‘’ethnicisation’’ du terrorisme ait des échos favorable en Mauritanie.
4.La première source de financement du terrorisme au Sahel a été pendant plusieurs années la perception des rançons que des pays occidentaux payaient de temps en temps contre la libération de leurs otages. Puis, la manne libyenne (pétrole et autres) a fourni un autre apport financier très important, notamment pour AQMI et pour l’EI. Cependant, avec la pression militaire que ces groupes subissent actuellement en Libye, il est à craindre qu’ils se réorientent de nouveau vers le business lié au phénomène de prises d’otages et son cycle infernal. Le rapt, il y a un mois environ de l’humanitaire française Sophie Pétronin enlevée à Gao, est à inscrire sans nul doute dans cette perspective, ( figure 3). La Mauritanie, où l’activité touristique a beaucoup souffert de ce genre de crime, doit rester vigilante sur ce plan.
Très bien classée sur le dernier indice global de terrorisme (GTI) établi par l'IEP, la Mauritanie a toutes les raisons pour se sentir fière d'elle-même, mais aussi et surtout, elle doit doubler de vigilance face à la menace terroriste qui reprend des forces au Sahel.
La résilience des GAT (groupes armés terroristes) dans cette région et ailleurs, en Europe notamment, est en effet source d'inquiétude pour tout le monde. Elle prouve d'autre part, si besoin en est, que la "délocalisation" de la lutte antiterroriste est une entreprise vouée à l'échec. Au lieu de chercher à faire supporter les "dégâts collatéraux" de cette lutte par les pays du Sahel et par le monde musulman, les puissances occidentales ont tout intérêt à combattre ce mal particulièrement dangereux, multiforme et transfrontalier, à sa racine et à instaurer une politique de coopération franchement désintéressée. Une politique qui accorde autant d'intérêt aux aspects sécuritaires qu'aux domaines du développement socio économiques et culturels. Les pays du Sahel, la Mauritanie en tête, appellent de tous leurs vœux ce type de coopération réellement fructueuse pour tous.
El Boukhary Mohamed Mouemel
Président du COTES ( Centre Oum Tounsy pour les Etudes Stratégiques)
elboukharymouemel@yahoo.com